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Et soudain un sourire...

 



                  La nuit s’annonçait triste et morne. C'était une de ces nuits où tout comme les sentiments qui s'embrouillent, les idées endeuillées se bousculent, sans s’excuser. Marc était entré par hasard dans ce bar de la rue Monsieur le Prince. Il commanda un demi et s’installa sur les ressorts épuisés d'une des banquettes de cuir en détresse. L’atmosphère enfumée semblait vouloir se joindre à l’image floue qu’il se faisait de son avenir: Sara l’avait quitté pour l'amour d'un destin doré qui n'était pas le sien…, alors, son monde à lui avait été ravagé par un tsunami du non-sens.

 

Oh certes, Sara était à peine plus qu'une amie d'enfance. Un visage d'ange, orné de cheveux blonds et bouclés… Un être complice, qu'il avait toujours mis en exergue dans le journal naissant de sa vie. Véritable âme-sœur, à qui il s’était toujours confié.

 

                  Quand une passion qui s'idéalise, reste trop longtemps contenue par l'océan de nos rêves, elle risque de sombrer à jamais. Restant toutefois profondément incrustée dans la mémoire de notre monde à part…

 

Les brumes contées du hasard, avaient d'abord pris des allures enfantines d'où avait surgit sa petite sirène d'Andersen. Mais avec l'adolescence, elles s'étaient peu à peu évaporées. Et voici qu'elles étaient retombées sur lui en une pluie de diabolos-menthe à la saveur salée. Mais ce liquide coulant par émotion sur ses joues, il le trouvait un peu trop saumâtre à son goût.

 

Son amourette, il l'aurait voulue connaître comme on savoure le baiser puéril d'une enfance renversée. Alors il ne pouvait se faire à l’idée que Sara allait se marier à un autre: puisque lui, l'avait toujours aimée en secret.

             

                   Marc porta le bord de son verre à ses lèvres, mais l’amertume de la bière s’insinua aussitôt jusque dans son esprit nostalgique. Il se sentait esseulé et timide en jeune homme trop romantique... Avec un cœur de poète plus blues que rocker... À l'intérieur duquel bouillonnait du sang rimbaldien. D'ailleurs, il était toujours prêt à défendre des idées qu’il avait à peine vérifiées. Il les concevait lors de rêves itératifs déclencheurs. Comme Arthur sillonnant autrefois les remparts de Mézières, il survolait virtuellement les ruines d'une enfance dont il ne resterait bientôt plus qu'un projet bâclé. L'avant-propos d'une vie pas encore construite. Ses pierres du bonheur lui paraissaient inéluctablement rongées par l'intérieur. Comme un ventre froid. Pourtant rien ne destinait Marc à devenir contestataire. Tant s'en fallait! Mais il avait envie de chausser les mêmes semelles de vent que son idole: un poète écrivain, explorateur, déjà d'un autre temps que le sien. Alors ce soir-là, il se créait des ailleurs: un autre monde, parallèle à celui présent. Mais d’une autre dimension… Dans laquelle les rêves d’adolescents sont encore accessibles aux adultes.

 

                   Le destin d'une vie, correspond certainement à un ordre profondément susceptible. À force d'en vouloir connaitre le sens ou la cause, l’on finit par être quelque peu paralysé psychologiquement et même religieusement. De la même manière: l'univers pouvait l'être aussi avant l'évolution de la connaissance physique et l’application des mathématiques abstraites. Les pas hésitants de l’esprit humain sont trop cartésiens. Ils continuent de "buter" sur un mystère inexplicable. Ce qui nous parait abstrait échappe à toute analyse scientifique rationnelle et s'en trouve exclu de la pensée si elle semble trop profondément romantique. Sinon qu'à faire usage d'apagogie. Mais qui sait ? Pour que l'empathie soit généreuse. Pour quelques-uns, pour quelques-unes… de tous les êtres qui sur Terre y croient encore: s'aimer reste possible même si c’est de différentes manières…

 

                   Son regard vaguement contemplatif semblait maintenant s’extasier devant le contenu de son verre. C'était comme s’il s'attendait à ce que le liquide jaunâtre et mousseux,  allât se muer en une coulée d’or transparent… Sa pensée se délitait doucement, au rythme des bulles échappées. Il s'imagina une montée de lave crevant la surface d'une mer prisonnière.

Aux yeux du poète, c’était comme si rien ne pourrait contenir l’esprit fuyant du breuvage…, pas plus que le sien.

 

Marc aurait voulu s’enfuir lui aussi de cette façon. Rejoindre l’éther. Y patauger à jamais. Découvrir une autre planète. Ne plus rien ressentir que l’osmose d’une forêt peuplée d'essences animées et dansantes. Vivre l'ivresse éternelle. Dormir parmi des muses: qui seraient amoureuses des humains. Ou encore, méditer sur une île au sable argenté. Nu, comme un solitaire enchâssé. Ne rien entendre que le chant des baleines. Mais surtout pas cette musique de sauvages que diffusait le juke-box! …. Création dissonante, d’un tumulte de sons, destinés à être consommés par l’immodération d’une société dévoreuse de produits audio lamentablement périphrasés!... et qui le renvoyaient à préférer son amertume bien à lui. Celle d'un garçon trop sensible. Dont la naïveté poétique ne pouvait que se désenchanter face aux réalités. Et tiens! Parlons-en de sa poésie! Dissoute qu'elle était dans une marée d’individualisme parfaitement contemporain! Comme ces sauvageries verbales, diablement concomitantes, que l'on s'échange, copieusement chargées de rancunes mouillées par l'acide des reflux œsophagiens... Non! Sa pensée à lui était cristalline, légère, comme la voix dans son oreille…, sibylline, imaginaire, et qui par-dessus le vacarme lui répétait inlassablement la chanson du phoque blanc:

 

             - « dors, mon baby, la nuit est derrière-nous … ».


             Mais dans l'histoire que vivait Marc, ‘Le livre de la jungle’ s’était refermé depuis longtemps, seuls les loups étaient entrés dans Paris! Et alors, comment pourrait-il à présent y rencontrer une tendre égérie?

 

Pourtant, celle qui comme lui souhaitait que le monde fût autrement plus serein que sa triste absurdité, était bien vivante, réelle… Et derrière lui !


             Jolie brunette de vingt fleurs, seule, attablée devant son café froid: Martine le regardait depuis un moment, et bien que Marc lui tournât le dos, elle entrevoyait son image inversée dans le tain flétri à l’opaque d'un très vieux miroir. Par ce chiche ornement du mur opposé qui lui faisait face, elle obtenait ainsi un portrait noyé du poète. Représentation qui le renvoyait comme dans un brouillard persistant à la surface d'un océan de pensées moroses…

 

        Et puis, quand il s’était mis à fredonner, elle avait fait abstraction de tout ce qui ne l'intéressait pas, et alors, la voix nostalgique de Marc lui était parvenue distinctement:

 

        - « Dors, mon baby, la nuit est derrière nous, et noires sont les eaux qui brillaient si vertes »...


        - « c’est joli ! »

Les mots avaient fusé spontanément d'entre les lèvres mouillées de Martine.

 

       Le jeune homme Surpris se retourna, et soudain… un sourire éclaira la beauté de leurs visages…

 

 

Robert Henri D



01/06/2016
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