Relativisme Moderne? (début du chapitre 87)
Tant que s'admet le caractère qui dépend de ses valeurs, toute doctrine surgissant d'une connaissance nouvelle reste pourtant relative. Ainsi, toute nature qui se concerte a un rapport avec ce qui lui peut être relié ou rapportable d’une façon ou d’une autre, comme elle l'est pour la nature humaine. Ce qui nous fait étroitement lien de naissance dépend alors d'une conception de la vie qui est relative à l’idée qu’on se fait de la mort… En ce sens, il n'est rien d'absolu qui ne possède pas de valeur en soi. Mais c'est toujours par rapport à autre chose… Ainsi, pour exemple, l'on pourrait citer la valeur relative de l’or, relevant de goûts et autres désirs personnels qui lui sont dépendants!
– « Et si mes écrits sont candides: c'est que mes pensées se font peut-être davantage poétiques que philosophiques… » Aurait vraisemblablement ajouté Lucien, tout en illuminant son visage par l'esquisse d'un sourire de connivence…
L'on peut rêver que l'on saisit l'humanité à bras-le-corps. Avec pour seule ambition de l'élever et la grandir. Pour qu'elle s'accroche enfin à l'idée de la perfection. Mais, dans le futur où vivait le poète, ce qui subsistait de la forêt moribonde entourant encore la grotte qu'il avait aménagée, ne procurait plus de sensations languissantes et rafraîchissantes depuis plus d'un siècle. Pourtant, rien ne convenait mieux à notre « Pelleteur de Nuages », que le choix de ce lieu qu’il avait élu pour y élever son âme vers des émotions sublimes.
Il faut reconnaître qu'il aimait énormément travailler de ses mains. Il s'y appliquait comme un jardinier cisèle une topiaire. Il avait su saisir pour ça le temps d'oisiveté relative que lui procurait la présence de Maria. Elle-même s'attachant à des tâches qu'il lui avait confiées. C'est donc ainsi qu'il s'employait à dorloter la nature qui lui concédait, à présent, quelques mètres carrés de tendre verdure. Mais cela ne découlait pas uniquement d'un travail purement manuel. Pour obtenir ce résultat encourageant, il s'appliquait à se concentrer progressivement: figé dans la position du lotus, il savait fixer ainsi son attention uniquement sur sa respiration. À force de persévérance, il était même parvenu à s'auto-pénétrer. Cela s'obtenant aussi par le biais de ce qu'il avait acquis de divinité intime, offerte à lui, par la grâce de la déesse Maria-Luce…
Un humain initié.
Auparavant, Lucien n'avait guère su tirer de ses méditations que des bénéfices très modérés. Alors, il s'enthousiasmait maintenant à vivre le progrès que lui conférait son nouveau statut d'humain initié.
– Mon chéri, lui avait adressé Maria qui le voyait faire: tu resplendis à présent autant que ma mère!
– Tu es encore plus ravissante quand tu me mens…
– Je le vois pourtant dans ton aura…
– Et toi tu es désirable autant que ta sœur se fait désirer!
– J'ai averti Maria-Luce que notre projet commun était de régénérer cet endroit, que puis-je faire d'autre sinon de l'attendre aussi?
– Toi qui es née dans ma chère forêt, tu la connais mieux que moi puisque depuis toujours, tu la vis aussi dans son apparence "intermédiaire".
– Ne la vois-tu pas ainsi toi-même?
– Bien sûr que si mon amour! Mais son image est si fugace et changeante… Elle parait devant mes yeux comme je l'imagine, mais elle ne m'environne de sa luxuriance que lorsque tu es dans mes bras.
– Mon gendre me semble bien morose…
– Marie?
– Maman, sois gentille: montre-toi!
– Hum… Maria-Luce… Qu'en penses-tu?
– Si vous êtes présentes toutes deux, c'est que peut-être...
– En effet mon bon Lucien, ton assiduité à nous méditer ne nous a pas échappée. Mais il se fait que si tu peux entendre la voix de Maria-Luce, en revanche, il se trouve qu'elle n'est pas présente à la façon qui est habituelle aux humains!
Lucien et Maria entendirent alors un joyeux clapotis auquel se mêlait un parfum floral. Il leur semblait qu'un fils d'Éole avait prêté son souffle à la fée Marie qui elle-même, venait de faire jaillir un mince filet d'eau claire en plein centre du précieux carré de verdure pour lequel notre Pelleteur de nuages avait pris grand soin… Et cela faisait même un bon mois qu'il mettait à profit le retour du printemps!
– Alors ça… vous n'êtes pas drôle, car voici que vous allez noyer mes jeunes pousses!
– Vous êtes un incorrigible râleur, doublé d'un insatisfait, mon cher gendre, lui répondit la mère de Maria tout en prenant apparence humaine. Et puis d'un simple geste, elle fit se déplacer la source d'une bonne cinquantaine de mètres… comme s'il s'agissait d'un simple feu-follet.
Le cadeau de Maria-Luce
Marie était superbe! Afin de discipliner quelque peu la cascade de ses longs cheveux blonds tombants sur ses épaules, elle les avait maintenus noués par un mince ruban de joncs tressés. Lequel était joliment orné de perles d'eau cristallisée. Elle était vêtue d'une très belle robe de couleur verte, délicieusement passementée de fleurs aquatiques. Un frais boléro constitué de feuilles fraîches complétait cet ensemble volontier printanier, que rehaussait le présence de quelques jolis papillons multicolores, voletant harmonieusement autour d'elle.
La fée blanche consentit l'accolade de Lucien, puis elle embrassa sa fille. Après quoi elle les invita à la suivre, afin qu’ils puissent toucher du doigt ce qui semblait être sa création…
– Mes enfants: ce que vous voyez n’est pas de moi, c’est un cadeau de Maria-Luce. Comme vous pourrez vous en apercevoir bientôt, il se trouve que son eau est magique. Ainsi, il vous suffira d'en verser un seul seau au pied d'un arbre mort pour qu'il redevienne aussi vivace qu'autrefois. Et à ce propos, je vous invite à regarder maintenant ce qu'est devenu votre maigre carré de verdure…
Alors, ostensiblement, Lucien se retourna, afin de porter son regard vers la caverne aménagée… et faillit en balbutier d'émotion:
– Ça alors! Voici plus de deux ans que j'expérimente cette semence avec un succès pour le moins mitigé. Certes, je suis au moins certain de reproduire de l'herbe véritable, et qui n'a rien des gazons génétiquement modifiés qui agrémentent comme ils peuvent les parcs de la ville… Mais, hum… Qu'en avez-vous fait? Je présume cependant que cette plate-bande de hautes herbes, toute parsemée de coquelicots et de bleuets, qui s'y trouvent à présent, ne peut être vue que de nous?
– Pour qui me pensez-vous monsieur l'humain pragmatique? Vous mériteriez que je vous transforme en bourrique pour vous inviter à la goûter!
– Maman: tu es incorrigible, et si je sais en rire, depuis longtemps, mon mari, en revanche, n'est pas forcément tenu à te croire sur parole!
– Tu as raison ma fille, mais il se trouve que je m'adresse moins pour cette fois au docteur es sciences de la nature, qu'au poète pelleteur de nues providentielles!...
*
Une fontaine digne de ce nom...
Honorant au mieux l’intervention de Marie, laquelle avait abouti par la matérialisation du cadeau de la déesse Maria-Luce, Maria et Lucien s'étaient très vite révélés pour être à la fois d'assez bons jardiniers et d'habiles bâtisseurs. Cela leur avait pris l'essentiel de leur temps, mais le résultat, bien que parfaitement rustique, en valait la peine!
Tout d'abord, pour construire une fontaine digne de ce nom: il avait fallu trouver de beaux blocs de pierre aux arêtes régulières; ce qu'ils avaient obtenu en fouillant dans l'ancienne carrière. Et bien que disposant d'assez peu de mortier pour les assembler, c'est en soignant aussi leur ajutage qu'ils étaient parvenus à suffisamment d'étanchéité pour que la nature, bienveillante à leur égard, ait accepté de faire le reste. Le transport et la manipulation des plus grosses pierres avaient été assurés par le retour complice du puissant robot auquel le poète avait su redonner vie. Ils auraient pu très certainement se contenter d'un seul modeste bac de stockage, mais au lieu de cela, à force d'améliorations et de courage, ils avaient fini par obtenir une véritable œuvre d'art, certes un peu baroque, mais vraiment fonctionnelle! Et même si l'aspect général qui fut obtenu de l'installation hydraulique faisait moins penser à celle préservée du parc du château de Versailles, qu'aux œuvres insolites d'un certain facteur Cheval… ça restait assez monumental. L'ensemble étagé ne comportait pas moins de sept bassins! Le premier déversant son trop-plein dans trois larges vasques intermédiaires, constituant une sorte de trèfle de pierre alimentant à son tour, les trois grands bassins de la base.
En mettant à profit le remplissage de chaque nuit, ils disposaient là d’une réserve dans laquelle ils allaient certainement pouvoir puiser de l'eau toute la semaine sans discontinuer! Et ils n'avaient pas failli davantage dans l'extension de leur jardin botanique, qu'ils avaient même prolongé par un grand potager. Lui-même jouxtant un splendide verger planté de jeunes fruitiers rapportés des serres de la ville. Et comme si cela ne leur suffisait pas: à force de généreux arrosages des arbres proches, qui leur paraissait les moins mal en point, ils avaient créé une sorte de mail qui s'avançait chaque jour d'avantage au sein de la forêt environnante, et que la féerie de l'eau vivifiait peu à peu, telle une amante gourmande. Alors cela se régénérant si joliment, le résultat les inspira l'un l'autre pour l'écriture contemporaine de quelques vers libres:
Ma mie:
Voici que pénétrante entité pour d'autres enracinées,
Une belle est tombée de nues issues d’océans délavés,
Pour donner de sa prodigalité joyeuse en jardin magnifié.
Or, plus elle offre de son sang à la terre pour l'irriguer:
Davantage, le ventre féerique sublime la mouillante évadée.
Si fait mon chéri…
La nature est une Grande Dame qui se consacre pour pure égérie.
Tandis que dans ses eaux se mirent d’autres charmes et fééries
Qui se boivent par les yeux, comme on fête une belle alanguie:
Baigneuse bleue, qui va d'un bassin étroit vers d'autres élargis
Et culbute en tourbillons d’âme, comme poissons d'argent éblouis.
Pour nous…
L'onde est une précieuse, faite de perles ornant des veines d’argile.
Sereine après furieuse, elle abonde de sa prime fraîcheur et gracile,
Nous abreuve par ce qui fait jaillir la vie dans ce jardin tranquille,
Au cœur des vivaces exultant partout en fleurs tandis que se faufilent,
Quelques insectes qui ressuscités des dieux vont parmi l'herbe agile.
– Mon amour, avait ajouté Lucien, après qu'il eut tendrement embrassé Maria: nous devrions montrer tout cela à Natan… je pense qu'il en tirerait grand plaisir.
Cela faisait bien longtemps en fait, que le poète n'était pas retourné dans le laboratoire de physique-chimie. Il avait revu plusieurs fois ses parents… À l'occasion… Quand un besoin dépendait de la ville. Mais il ignorait si son vieil ami le professeur y proposait toujours ses enseignements. Lucien pensait que l'homme intègre qu'il se rappelait avoir connu, serait apte à admettre une réalité de cette sorte dont il avait parlé en premier à sa mère: à savoir une oasis à ciel ouvert, réputée impensable sur la planète autrement qu'abritée sous des matières translucides. C'est pourquoi il souhaitait montrer leur réalisation à ces trois personnes et quelques uns de leurs amis en premier. Avant de tenter d'en persuader d'autres qu'elles pouvaient en faire autant.
¤
Réunion entre amis...
Le professeur Natan ne tarissait pas d'éloges… et puis la mère de Lucien était là elle aussi! Pourtant, si Ashneene accompagnait un groupe de personnes amies, comme elle, ceux-là n'avaient consenti de quitter la ville et sa coquille translucide, qu'après avoir subi l’effet, présumé protecteur, de moult vaccinations! Ce qui avait retardé d'autant l’organisation de cette belle réunion. Bien que pour André, le père de Lucien, cela ne changeait rien à ses habitudes, vu qu'il s'était résigné à vivre séparé de son épouse, pour lui avoir préféré, à l'instar de son fils, l'amour d'une parcelle de terre ingrate qu'il cultivait non moins amoureusement que lui... Laquelle entourait une modeste masure, située hors de la ville, non loin de ce qui restait de la rivière …
Lui aussi se montrait subjugué. Il ajoutait à chacun de ses propos des arguments conduisant au fait logique qu'il aimerait pouvoir disposer d'une telle fontaine! Arguant qu'à voir toute cette eau incomparable! Celle-là valait évidement mieux que l'autre, qu'il tirait d’un ru malingre passant néanmoins au bas de chez lui, avant de rejoindre le lit du fleuve rabougri, mais qu'il devait décanter pour arroser, voire bouillir, et même filtrer longuement, avant de pouvoir enfin l'utiliser en cuisine…
U. V. meurtriers?
Chacun reconnaissait qu'en ce printemps de vingt-deuxième siècle, la pureté d'une telle journée n’existait probablement nulle part ailleurs qu'ici, bien qu’elle n’eut fait que respecter la promesse faite la veille... Celle-ci ayant nécessairement été bien argumentée par Maria, et soigneusement installée par la complicité active de sa sœur: la déesse Maria-Luce.
Ainsi, pour que notre étoile fasse bon profit de la percée nocturne obtenue de Séléné, il avait été demandé à la meute des nuages de s’éclipser… pour mieux la laisser faire, et et le soleil s'était donc présenté de bonne heure afin, de s'insinuer dans l’espace qui avait été dégagé, comme un rai joyeux qui se glisse sous une porte. Du coup, la complicité micro climatique, qui s'obtenait du Mail forestier, avait mi l'aubaine à profit. S'étant alors peu à peu faufilée, allant même jusque qu'alentour, la lumière du jour baignait aussi les jardins de Lucien. Et cela se supportait agréablement, sans qu'il soit utile aux invités de faire l'acquisition de tout un fatras de cosmétiques et autres objets manufacturés, plus ou moins utiles à se protéger des UV meurtriers – ces dangereux rayons – qui en se faisant voir ailleurs qu'ici, avec d'autres attaquants cancérigènes, ne manquaient pas à l'occasion d'éclabousser copieusement les dômes protecteurs des villes. Se moquant bien de la vaine illusion que procurait encore une couche d'ozone en haillons, bientôt moribonde, à force de blessures industrielles, et de tant d'autres plaies sournoises! Pauvre parasol de la terre… qui était mité de partout…
Et dire qu'un siècle plus tôt, elle était encore censée protéger la planète!…
Sauf qu'à l'entour de la fontaine, ozone ou pas, la déesse Maria-Luce avait fait le nécessaire pour que notre étoile se révèle largement participative, mais sans être agressive, créant là, et à sa manière, la présence permanente d'un micro-climat capable d'aider à l'évolution de la phase locale de reconstitution de la nature: écartant pour cela s'il fallait celles des nues intempestives qui viendraient à vouloir s'immiscer, tout en la gardant aussi contre tout bombardement ionique qui serait malvenu.
Conversations amicales...
La douceur du ciel aidant, et bien que le poète se montrât plutôt songeur, les conversations amicales s'installaient doucement parmi les curieux… Il faut dire que si Lucien était naturellement doué d'une philosophie bon enfant, ça n’en faisait pas pour autant un orateur de talent. Et si son père se plaisait à imaginer l'avenir en pratiquant la chiromancie, il avait aussi transmis sa passion de la terre à notre poète, qui en avait hérité pour ce qu'elle représentait autrefois de noble et beau. mais c'est pourtant bien de sa mère, hypnotiseuse et magnétiseuse, qui de surcroît pratiquait de bonne foi la régression paranormale, qu'il avait obtenu l'essence de ses dons innés… Il pouvait donc s'admettre dans ce cas, que pour un jeune homme qui montrait déjà un psychisme bien développé, il était aisé de ne pas se départir d'un comportement similaire d'esprit à celui qu'il a toujours montré, dans chacun de ses Karmas. À ses seize ans passés, il errait depuis longtemps loin des villes. Il n'était alors nullement rebuté par la moiteur étouffante des étés; pas plus que par les bains boueux qu'étaient devenus les hivers. Et s'il se promenait, à présent adulte, au cœur de sa chère forêt avec plus d'aisance et de plaisir encore, c'est parce que de nouveaux gènes, qu'il avait reçus lors de son union à Maria, lui permettaient de la voir et la ressentir dans un état qui était resté proche de celui d’origine, au sein du monde intermédiaire.
– Mère, avait-il confié à Ashneene, toi qui sais voir ce que ne savent pas même présumer des yeux humains, aimerais tu que je te présente Maria-Luce?
– Mon enfant, ce serait pour moi un grand honneur! Et puisque tu fus capable adolescent de rencontrer le diable, et de t'en être trouvé bien, je ne vois pas d'objection, vu mon âge, à ce que tu me présentes l'une de tes autres connaissances, fusse cette fois un haut personnage en relation avec le déisme qui te sied, car, pour réussir là où tous les botanistes de la terre ont échoué, ce ne peut-être qu’avec l’aide de l’une ou de l’autre...
– Maman! Tu es insatiable de tes propres galéjades…
– C'est vrai mon fils, et je t'accorde que ta compagne est ravissante: elle me fait penser à une fée…
– Sa mère est l'une d'elles…
– Mon pauvre enfant, j'aime voir en toi l'émotivité d'un poète, mais tu le sais aussi bien que moi: le Petit, autant que le Grand-Peuple de la forêt ne sont plus, puisqu'elle-même est moribonde.
– Aurais-tu perdu la foi qui distingue les dames visionnaires?
– Il y a peu de gens pour croire encore aujourd'hui aux manifestations paranormales.
– «Et c'est bien dommage, dame Ashneene…»
– C'est étrange! Lucien! mais il me semble que je viens d'entendre une voix féminine que je ne connais pas!
– Mère, aurais-tu oublié aussi que tu fus médium?
– «Elle l'est toujours Lucien…»
Une présence!
Si la déesse Maria-Luce n'était pas, semble-t-il, visible par d'autres que Lucien et Maria qui l'avaient invitée, en revanche il se trouvait qu'Ashneene reçevait clairement la vibration des ondes vocales qui lui étaient adressées, et d’ailleurs, le père du poète avait perçu lui aussi «une présence». Seul, notre bon professeur Natan, qui ne comprenait rien à ce dialogue de sourds, commençait à s'interroger sur l'étrangeté de la discussion qui s'était établie depuis Lucien et sa mère, mais dirigée vers il ne savait trop qui! Chacun lui semblant s’adresser de tant à autre à… l’arbre le plus proche!
– Je perçois la présence d'un être de lumière, lui avait simplement adressé le père de Lucien qui le voyait perplexe...
Et puis il avait ajouté:
– Mais je peux me tromper…
– Non! Père, tu n'as pas fait d'erreur, et à vous mon cher Natan, je dois des explications: car voyez-vous, tout ce que vous constatez ici s’est obtenu moins par mes recherches en botanique et mes bons soins, que grâce à l'intervention complice d'une personne appartenant à la déité.
– Ma sœur n'a fait que nous fournir en eau, mon cher mari.
– Tu dis vrai! Maria… En un sens.
– Et quelle eau mon fils!... Reconnais qu'elle n'a pas besoin d'apports qui soient autres que ses propres sels minéraux. Puisque je n'ai vu nulle part trace d'engrais organique-ajouté, rien qui soit mélangé au sol pour le sortir de son appauvrissement, ou pour accroître sa fertilité. Alors, permets-moi de m'extasier quand je constate la productivité et la luxuriance de tes jardins, ainsi que leurs abords. J'ignore d'où elle tire autant d'oligo-éléments, de phosphore, d’azote, de potassium, de magnésium, et Dieu sait quoi encore, tout en ne dégageant aucune des odeurs qui les caractérisent. Ainsi je te le dis, quitte à me répéter: je ne sais ce que je donnerais pour voir jaillir la même eau à côté de chez moi!
– «Que diriez-vous, madame, si j'accédais à ce vœu de votre mari»? fit la voix de Maria-Luce dans l'esprit d'Ashneene...
– Je dirais que peut-être vous le feriez sous condition.
– Pardon?
Cette dernière interrogation venait cette fois de Natan, qui en bon scientifique, trouvait généralement une explication rationnelle à tout ce qui ne semblait pas l'être, mais méritait cette fois que Lucien l'éclaire à propos de sa propre métamorphose, et celle de Maria. Pourtant, l'enjeu étant de taille, car promis à déborder largement des limites régionales, il fut convenu qu'il fallait aussi prévoir d'inviter très prochainement le maire de la ville, accompagné de ses adjoints…
– À présent, si vous accordez toutes et tous quelque intérêt à ce que je rêve d'obtenir, peut-être accepterez-vous de participer à une douce promenade en notre compagnie, leur dit encore le poète…
*
Un phénomène étonnant!
Ce fut lorsqu'ils atteignaient l’ancien lit de la rivière que la féérie avait commencé… Et si le père de Lucien –bien qu’il ne la vit pourtant pas mieux que ce brave professeur Natan– avait acquit la quasi-certitude que Maria-Luce leur ouvrait effectivement la marche... il avait compris aussi –Ashneene s'étant spontanément proposée pour les accompagner– que probablement sa femme était entrée en rapport direct avec l'entité… présumant qu’alors elle savait aussi bien que lui que celle là était créatrice d'un autre micro climat, cette fois mobile, car se déplaçant avec eux de manière certes très limitée puisque fugace: mais affichant néanmoins un phénomène étonnant qui était bien visible par tous!
C'est ainsi que ce qui subsistait du fleuve, présentant l’équivalent d’un modeste ruisseau... –puisque ne déversant que faiblement une eau rare, ne sinuant plus qu'entre des bancs de terre glaise– cependant montrait à l'endroit précis de l'image rétinienne consentie par la déesse, que le flot en avait quadruplé! Se jetant soudain à l'assaut de l’envasement marécageux, qui gisait en réalité presque partout sur ses bords!
Il ne faisait nul doute qu'à ce rythme, l'eau nouvelle serait bientôt capable de remplir l'ancien lit!...
Mais cela n'était qu'un mirage… car à peine la déesse avait-elle franchi la centaine de mètres suivante, que la rivière reprenait son aspect réel… Pour à nouveau renaître... joyeuse… un peu plus loin... mais durant un temps très court… bien trop court!
Des fleurs irresistibles
C’est donc aux alentours immédiats que côtoyait Maria-Luce, que l’on pouvait apercevoir aussi les lianes anciennes s'habillant de feuilles nouvelles, et dont le vert brillant emmaillotait à son tour les troncs rugueux de ce qu’il restait des marronniers. Eux même, s'ornant en leurs branches d'un bourgeonnement de fleurs irrésistibles… Mais qui mourraient peu après s’être épanouies. Alors, pour ne plus les revoir dénudés, le vieux magnétiseur portait son regard à une distance constamment mouvante qui correspondait au déplacement de la déesse, s'efforçant pour cela d'ajuster sa marche au développement de l'image... Même s’il savait que ses pieds ne rencontraient que de rares touffes d'herbe jaunie, alors qu'il aurait pu s'attendre à piétiner un véritable tapis de verdure…
Cependant, contre toute attente, lorsque Maria-Luce –toujours invisible– se trouva cette fois sur le site de la maisonnette qu'ils étaient maintenant sur le point d'atteindre, toute la propriété resta figée dans son état de délabrement avancé…
– Vous ne pensez tout de même pas que je pourrais quitter un jour mon appartement douillet pour vivre dans cette ruine laissa soudain échapper Ashneene, qui se parlait à elle-même.
– Décidément, tu es restée une incorrigible matérialiste, lui rétorqua son mari qui n'était pas dupe.
– Si aucun de vous deux ne fait d'effort objecta Lucien, je doute que la déesse qui nous accompagne, garde une bonne raison d'accéder à la demande qui lui a été faite tout à l'heure…
– Si cela se fait, je te promets d'installer un véritable nid d'amour à ta mère, laissa entendre son père d'une voix lasse…
– Ben mon vieux bonhomme, je ne te crois pas… lui adressait déjà Ashneene!
– T'ai-je souvent menti quand nous étions jeunes et amants?
– Ben non, et d'ailleurs tu ne le pouvais pas, puisque j'ai toujours su lire en toi la moindre pensée me concernant.
– Et à l'instant présent, que vois-tu dans mon esprit?
– Je vois… un grand champ de fleurs multicolores… quelqu'un y a installé un banc: en plein milieu… le banc est occupé par un couple… l'homme a son bras droit glissé telle une écharpe derrière le cou de la femme… dieu qu'elle est vieille et ridée!… la main de l'homme s'est à présent posée sur l'épaule de la femme... elle se presse contre lui… joue contre joue… c’est étrange… mais cette femme me ressemble.
– vois-tu le visage de l'homme qui l'aime ainsi tendrement?
– Oui… Il est plus jeune que toi d'au moins vingt années… Il te ressemble… attends… mais c'est… toi!
– Alors qu'en dis-tu?
– J'en dis que peut-être, ton cœur qui se voit est resté adolescent. Mais pourquoi le mien m’apparaît-il si ridé?
– «Il ne tient qu'à vous, madame…»
– Ha! C'est encore cette voix qui m'assaille!
– Maman, ne crois-tu pas qu'il est temps pour toi d'avouer à papa que tu l'aimes encore?
– Hé oui mon fils, je l'aime! Et je sais que de son côté il partage ce même sentiment, mais l'amour vaut-il la peine qu'on lui sacrifie tout?
– Oui maman!
¤
L'annonce d'une belle journée...
Et le temps avait passé sur la terre... puis il y eut cet autre jour... qui après plusieurs mois de labeurs champêtres, montrait à nouveau ses lambeaux de brume... lesquels s'extirpaient paresseusement du lit presque vide de la rivière.
C'était l’automne, mais pour une fois le ciel se montrait relativement pur… et cela annonçait malgré tout une belle journée. Il ne faisait alors aucun doute, que passé le petit matin, le soleil allait briller comme un sou neuf, négociant aux nuages, le droit d'installer çà et là sur la terre, quelques-uns de ces petits coins du paradis dont elle disposait encore, mais beaucoup plus parcimonieusement qu’avant l'emballement de la crise démographique et l'industrialisation mondiale surajoutés, entre autres, à la grande pollution nucléaire qui s'était produite, il y aura bientôt cent ans, lors du démantèlement bâclé du site européen de Candukc-land... assemblage de cinquante réacteurs nucléaires occupants près de 25 kilomètres carrés de propriétés expropriés, au nord-ouest de la ville de Mulhouse (Alsace)… Cela ayant dévasté toute la région et même au-delà, par le fait d’une contamination radioactive qui persistait encore...
Dans son petit coin d'Ardenne miraculeusement préservé, Ashneene s'était pourtant levée tôt. Elle souhaitait profiter de l'éclaircie pour mener les ovins à brouter de la bonne herbe grasse.
Debout sur le pas de la porte fraîchement repeinte, le père de Lucien lui fit un tendre signe. Puis il se saisit de son arrosoir et se dirigea vers la fontaine qui, magnifique, trônait en plein milieu de la cour !
Bien protégée par l'étrange micro climat qui s'y installait au mieux d'année en année, la maison était devenue un petit bijou. Certes elle était restée très humble d'architecture. Mais André l’avait si bien restaurée qu’elle en paressait toute pimpante, et, devrait être capable d'offrir encore de belles années de bonheur, au couple qu'un destin bienheureux avait de nouveau réuni.
Pollution!
Ailleurs cependant, durant presque toutes les nuits, les astres lointains, qui à l'ordinaire d'antan se voyaient pourtant bien semblaient aujourd’hui obstinément absents. Un peu comme s’ils avaient été gommés à jamais par le rideau plombé que les cheminées d'usines avaient continué de cracher en particules polluantes. Et cela eut lieu aussi longtemps qu'il fut possible d'extraire des énergies non renouvelables. Quitte pour cela d’aller les quérir jusqu'au plus profond de l'écorce terrestre…
Alors on aurait pu penser, au-dessus de beaucoup d'endroits de la planète, que des nues gargantuesques s’apprêtaient à l'absorber... ainsi que son étoile... Il pouvait même sembler – puisque se trouvant en abondance dans le ciel– que l'épais brouillard gris-jaune s'était entièrement substitué à l’atmosphère. Au mieux, c’était parfois la lune, qui s'étant rapprochée, donnait l'impression bizarre de rayonner davantage que la lumière directe du soleil. Il restait que celui-là s’ingéniait cependant à trouver d’autres moyens pour percer cette moiteur. Comme s’il se faisait le complice de ces êtres humains volontaires, jugés fous par d’autres, mais qui s'entêtaient néanmoins à vouloir vivre hors des villes, quitte à passer pour de «doux rêveurs»… Tant leur présence pouvait encore laisser croire à l’espoir d'une réconciliation entre l’homme et la nature agonisante…
Parmi ces gens, il s’en trouvait même un qui, en compagnie d’un certain Natan, était allé à la rencontre du maire de la grande ville... Cela s’admettant encore possible, durant ces rares journées d’exception qui font mentir les plus pessimistes d'entre nous.
Ayant obtenu toutes garanties utiles à l’en persuader, l'édile avait donc consenti de sortir... dûment accompagné d'adjoints, et même de quelques conseillers pourtant peu enclins à s'extraire de leur coquille translucide. Et c'est ainsi que les moins pleutres d'entre eux s'étaient timidement aventurés à parcourir une dizaine de mètres hors du dôme. Suivant quoi, ayant fait à leur tour le constat qu'il n'arrivait rien de fâcheux à leurs collègues, pas même une goutte d'acide tombant du ciel dont ils avaient oublié qu'il peut proposer encore, bien que localement, une si belle couleur azurée: d’autres s'étaient enhardis à les rejoindre.
Pourtant, le petit groupe comptant cette fois une douzaine de personnalités, de même qu’un photographe de presse et quelques badauds, rechignait visiblement à parcourir à pied les mille huit cents mètres qui séparaient la maison d'Ashneene et son mari de la ville. Il existait bien un système, destiné au transport des passagers entre les aérogares reliant les villes entre elles, mais aucune d’elles, si courte fût-elle, n'aurait pu les rapprocher du lieu qu'ils avaient finalement accepté de visiter. Alors, c'est en faisant de visu l'amer constat de l'état de la planète, qu'ils avaient finalement opté pour la marche, et s'approchaient donc maintenant de l'endroit prévu…
Stupéfaction!
C'est alors que se vécut une scène bien étrange qui laissa chacune et chacun réellement stupéfié!
Cet espace, tout couvert de fleurs des champs qui s'offrait à leurs yeux en pleine nature désertique: c'était du jamais vu! Du moins depuis près d'un siècle. Et plus ils avançaient de leur pas précieux (les chemins et autres routes autrefois bitumées étant à présent en état de dégradation avancée) davantage la vue du site les ramenaient à des comparaisons d'images que leur avaient conté autrefois leurs grands-pères et leurs grands-mères…
Certes, ils connaissaient bien quelques somptueux jardins de ville. Mais si ceux-là avaient pu subsister, c'est parce qu'ils bénéficiaient de la protection des cloches transparentes. Alors ils ne comprenaient pas comment cela fut encore possible d'obtenir la même chose en pleine campagne, surtout sans le secours de ces serres disgracieuses, qui proliféraient dans l'environnement immédiat des agglomérations aseptisées.
– Ce qu'ont réussi mes parents, d'autres qu'eux peuvent le faire, dit Lucien.
Mais ces messieurs restaient suspicieux. Ils ne l'entendaient pas ainsi. Ils restaient persuadés d'un quelconque stratagème… (Il faut bien admettre qu'ils n'avaient pas tout à fait tort… encore qu'en matière de déité, la bonne foi devait l'emporter!…)
– Croyez-vous vraiment messieurs que nos ancêtres "homo machin truc" sont le pur jus du hasard, leur dit-il encore, manifestement excédé par tant de mauvaise volonté.
– Si vous ne faites confiance au philosophe, peut-être écouterez-vous enfin le scientifique, le soutint à son tour le professeur Natan, visiblement ému de voir l'honneur de son élève bafoué par ces gestionnaires inflexibles.
– Ne dit-on pas de lui qu'il serait avant tout un poète: un pelleteur de nuages!? Lui avait rétorqué quelqu'un…
Ashneene, qui de loin regardait la scène, pensa qu'il serait utile d'aller à leur rencontre. Elle s'était donc peu à peu rapprochée. Et lorsqu'elle fut à portée de voix, elle leur aboya littéralement:
– Votre incrédulité est à la mesure de vos ambitions de politiciens nombrilistes! Et toi Sébastien, oui toi: Monsieur le Maire! Qui vient de mépriser mon fils, aurais-tu oublié que tu venais autrefois me consulter pour envisager au possible l'avenir que pourraient connaître tes projets, dont quelques-uns plus ou moins malsains, avant de les soumettre à ces messieurs ici présents, lors de certaines réunions de conseil municipal parfois houleuses?
Comme beaucoup de ces politiciens désireux d'imposer leurs quatre volontés, Sébastien cumulait d'autres mandats, dont celui de député. Et il était à gager d'autre part, que si son cerveau eut pu se révéler aussi actif que son estomac, il n'aurait certes pas dû avoir besoin du secours d'une voyante pour juger de l'impact possible des décisions à prendre!... Battant cependant quelque peu en retraite devant l'argumentation assassine d'Ashneene, il se racla la gorge, et bombant son torse habillé par le meilleur tailleur de la ville d'à côté qui s'y connaissait en bedaines, il caressa dignement son écharpe tricolore et emboîta le pas décidé de la voyante qui venait de lui tourner le dos sans attendre de réponse.
Quand ils furent tous assemblés autour de la fontaine, le magistrat s'empara du petit arrosoir aseptisé qu'un de ses adjoints avait apporté. Puis il le plongea cérémonieusement dans l'eau cristalline, cependant que le photographe immortalisait la scène. Et puis Natan enfila des gants stériles, il remplit quelques éprouvettes en les plongeant dans l'arrosoir, puis les cacheta devant témoins: les échantillons seraient analysés le soir même, dans le laboratoire de la ville, devant lui… Mais par un autre que lui… qui de toute façon n'y entendait rien en chimie céleste!…
Lucien adressa un sourire à son père. Après quoi il proposa à chaque invité de s'approcher de la margelle afin, comme il est coutumier de le faire en pareil événement, de déguster le verre de l'amitié... Mais lorsqu'il eut plongé le premier gobelet dans la fontaine, ces messieurs s'étaient tous reculés horrifiés:
– Vous ne voudriez tout de même pas… s'étrangla Sébastien!
Alors le poète but le verre religieusement, devant eux, et puis ses parents, ainsi que Natan en firent autant, laissant dans leur verre respectif, suffisamment de liquide pour qu'il soit reversé lui aussi dans d’autres éprouvettes qui furent aussitôt cachetées. Ils firent cela tout en dévisageant les membres du conseil un par un… sauf le photographe, trop content d'enregistrer le scoop en continu.
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Personne n'avait su expliquer pourquoi les échantillons d'eau qui avaient été prélevés dans l'arrosoir du maire révélaient une composition qui était différente de celle respectivement récupérée dans les gobelets. L'une étant plus que propice à l'irrigation, sans avoir le moindre besoin d'un apport d'engrais. Tandis que l'autre s'admettait de beaucoup, plus pure que celle recyclée qui se consommait en ville. Mieux encore: aucune des rares sources d'eau encore directement consommables dans le monde n'était capable de l'égaler! Inutile après cela de confirmer l'intérêt mondial qui fut reconnu au sous-sol Ardennais. Pourtant, aucun des multiples forages qui furent tentés à l'entour immédiat, mais hors de la propriété, ne révéla la moindre nappe phréatique susceptible de produire cette denrée incomparable! Ainsi, chacun s'était perdu en vaines conjectures. Alors qu'il aurait suffi de reconnaître l'intervention conjuguée de la bienveillance naturelle avec l’aide apportée de Maria-Luce.
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Des années passèrent encore, sans que rien de véritablement concret ne soit envisagé, en dehors des travaux de Lucien et de ses parents. Chacun s'en était retourné de son côté: les rats des villes se moquaient de plus belle des rats des champs, et la presse électronique s'en donnait à cœur joie… Sauf que Natan, à force de conférences sur le sujet, commençait à obtenir des émules. Son premier couple de pionniers avait même remplacé les parents de Lucien. Les vieux amants avaient certes vécu plus de trente années supplémentaires. Ashneene qui avait cent douze ans en comptait huit de plus que son mari. Mais ils s'étaient tout de même éteints... la même nuit... endormis à jamais dans les bras l'un l'autre. Le poète en avait vieilli d'un coup, tant sa peine était profonde.
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Sarthanax
( ... et si, avec ce début du chapitre 88, nous explorions à présent la neuvième planète?)
Le dieu passeur Pfelproton leur indiquait précisement les meilleurs repères en les pointant sur la carte cosmique virtuelle du Royaume des Ténèbres. Pourtant, l'habileté de manœuvre de Gabryel s'était néanmoins révélée utile. Surtout lorsqu'il fut question de traverser l'ultime barrière de ce monde paranormal. Elle se composait par la présence de milliards d'orbes malsains, bourrés pour la plupart d'énergie sombre, et dont certains disposaient même de réactifs qui se présumaient capables d'activer des Masses-Nucléaires-Fortes (MNF). Elle constituait une sorte de rempart protecteur, et qu'il convenait de ne pas déranger si l'on souhaitait accéder indemne au monde du dieu des ténèbres ayant pour nom Sarthanal. Et si Gduisgraïl avait insisté pour accompagner les trois dieux ange de lumière et leur chasseresse, c'est qu'il avait appris du plus puissant d'entre eux, ce que pouvait tramer Anthénéme à son insu.
– Anthénéme, lui avait répondu le dieu Sombre, n'est pas quelqu'un de dangereux à proprement parler. Mais il est à craindre en effet que notre frère, le dieu Sarthanal, que vous souhaitez à présent rencontrer, puisse le manipuler. En imaginant qu'il s'avise de glisser deux ou trois de ses serviteurs démoniaques parmi les damnés qu'il fournit, ceux-là pourraient en effet influencer les chefs des anges gris… Ainsi, par exemple, ceux qui vous ont posé problème, s'attaquant en premier et sans sommation à votre envoyée, de même que ce capitaine belliqueux que vous avez foudroyé, sont autant de sujets qui me font m'inquiéter. Quant à définir mon frère Sarthanal, je peux vous le dire sans risque de me tromper: il faut vous attendre à rencontrer en lui un fervent admirateur de feu motre frère L'HOMBRE…
– J'ai eu à combattre votre défunt frère alors qu'il menaçait de s'emparer de la terre, lui répondit Gabryel. Je ne souhaitais pas sa mort, et du reste, ça n'est pas moi qui l'ai provoquée, mais un autre dieu ange, qui lui-même en périt. Il faut que vous le sachiez: L'HOMBRE est allé jusqu'à menacer d'exterminer ma famille et de détruire ma maison qu'il avait assaillie avec l'aide d'une armée de démons. C'est à cette occasion qu'il m'a défié dans un combat qu'il a traîtreusement voulu mener jusqu'au dernier sang. Alors que je lui avais proposé de le limiter à la première blessure qui aurait valu pour acte d'armistice. Je dois reconnaître qu'il s'est montré à la hauteur de sa noirceur d'âme, qui était pire d'actions malsaines que ne le fut, en d'autres temps très primaires, un certain Archange, que vous connaissez sans doute, et qui fut déchu de sa charge première par la volonté de son créateur, le Très-Haut de lumière, en raison de son insubordination. Celui-là, les humains l'ont d'abord confondu avec votre père, le Très-Haut des ténèbres, qui avait lui aussi quelques griefs contre son créateur. Et puis cet ange déchu, comme vous le savez, fournit encore directement Sarthanal en damnés. Bien que s'il le fait, c'est moins pour remercier celui-là de l'avoir aidé à s'installer, que par respect d'un contrat qu'il signât avec votre père… C’est ainsi qu’à être un humain l'on ne saurait guère distinguer des deux, celui que leurs lointains ancêtres ont nommé Satan pour les uns, Belzébuth pour d'autres, ou encore le Diable… (Et tant d'autres, qui sont porteurs de noms réputés démoniaques…) Nous savons aussi vous et moi que Belzéé, s'il reste lié par ce pacte, n'en est pas moins assagit. Puisqu'il s'est retiré dans son monde souterrain depuis que son ultime combat, en alliance obligée avec L'HOMBRE, s'est transformé en déroute. Et vous pouvez ajouter l'échec cuisant que lui a infligé Néphysthéo ici présent, alors qu'il se trouvait devant l'antre d'une fée rouge dont l'Archange déchu fut l'amant… (à voir ou revoir dans le premier volume)
– Et que j'ai occise… Ne put s'empêcher de préciser Morganie, se remémorant d'avoir failli périr elle aussi sous le coup douloureux d'une autre de ces attaques perfides, qui étaient chères au dieu sombre.
– Voici que nous arrivons, prévint Pfelproton, éludant ainsi cette dernière information de la chasseresse. S’admettant aussi qu’elle aurait pu entraîner d'autres griefs...
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Etrange planète.
L'image planétaire s’imposa très rapidement. Pourtant, la vaste zone rougeoyante qui se voyait côté étoile, faisait davantage penser à un subterfuge de planète qui serait constitué d’un agglomérat de braise agonisante, plutôt qu'à un monde accueillant. Cependant, Gduisgraïl la savait autrement faite.
Si cette planète-là ressemblait moins à toutes les autres de l'univers des Ténèbres, outre la particularité de son orbite géosynchrone par rapport à son étoile de type soleil, la maintenant à une distance qui lui permettait d'être réputée "partiellement habitable": en revanche, il se trouvait qu'elle ne tournait pas sur un axe parallélle ou légérement oblique comme le font la plupart des autres, attendu que sien est carrément perpendiculaire!… présentant le même pôle magnétique, et de façon permanente. Autre particularité, la présence des crevasses abyssales couvrant la zone "invivable" qui tenait lieu de filtre-pare-feu-canalisateur d'énergie; laquelle se trouvait redistribuée par un ingénieux réseau souterrain la traversant de part en part et s'étendant partout jusqu'atteindre son autre face. Celle là inversement fonctionnelle, "tempérant" le risque d’emballement dudit "pare-feu""en consommant sa production à la manière d'un "chauffage-par-le-sol".
Ainsi, quand la sphère fut installée en orbite, chacun put se rendre compte que le reste de la planète présentait une nature certes étonnante par son aspect rouge dominant, mais disposait d'eau en suffisance, de végétaux, et d'une température ambiante presque linéaire… tandis, que de nombreuses lunes couvertes de poussière argentique, renvoyant tour à tour la lumière de l'étoile, pourvoyait largement à éclairer la face habitable, comme le feraient de gigantesques miroirs.
– Voilà qui est étrange, leur dit soudain Gduisgraïl.
– Vous ne me ferez pas croire que l'organisation cosmique de ce monde vous est étrangère, lui adressait aussitôt Erzeré-Gabryel.
– Non, bien entendu: ce qui me surprend est d'un autre ordre, car voyez-vous, il se trouve que je ne parviens pas à joindre l'esprit de mon frère.
– Je dois reconnaître aussi mon échec admit le dieu ange photon…